Comment celui qu’ils proclament Fils de Dieu peut-il être mort ainsi sur une croix ?
La croix à laquelle se réfère le chrétien, avant d’être un signe, est l’instrument de la mort de Jésus de Nazareth. La crucifixion est connue dans le monde antique comme le supplice extrême, infâmant. Il nous faut donc remarquer que ce qui est « folie pour les païens » l’est encore plus pour les chrétiens. En reconnaissant le fils de Dieu dans l’homme crucifié au Golgotha sous Ponce Pilate, les chrétiens se voient contraints de donner sens à l’incompréhensible. Comment celui qu’ils proclament Fils de Dieu peut-il être mort ainsi sur une croix ? Face à ce qui ne pouvait apparaître qu’un scandale aux yeux de leurs contemporains, les premiers disciples du Christ, éclairés par l’Esprit de Dieu, ont dû donner sens à cet événement dans une théologie de la croix et en exprimer la valeur positive.
Nous proposons ici de dégager les premières interprétations chrétiennes de la mort en Croix de Jésus de Nazareth. Les Actes des Apôtres s’en font l’écho. Les discours – mis dans la bouche de Pierre et de Paul par Saint Luc – nous présentent en effet le noyau, l’essentiel de cette foi telle que l’a perçue l’Eglise en ses débuts. Nous pouvons remarquer que la mort du Christ y est interprétée en contraste avec sa Résurrection. « Face à l’événement « insensé » de la mort de Jésus, mort qui mettait fin aux espérances soulevées par sa vie, les premiers chrétiens se sont ressaisis en lui opposant leur expérience du Christ vivant. » Nous pouvons citer quelques unes de ces formules contrastées :
Ac 2, 36 : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude: Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié. »
Ac 3, 15: … tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie, Dieu l’a ressuscité des morts: nous en sommes témoins.
Ac 9, 10 : … c’est par le nom de Jésus Christ le Nazôréen, celui que vous, vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts, c’est par son nom et par nul autre que cet homme se présente guéri.
A l’événement tragique de la mort du Christ, ces formules opposent avec vigueur l’annonce joyeuse de la Résurrection. Nous remarquons que le contraste n’est pas seulement dans le rapport entre la mort et la vie, mais aussi entre les sujets des différentes actions. A l’action cruelle de ceux qui ont crucifié Jésus, s’oppose l’action de Dieu qui l’a ressuscité.
La théologie de ces textes repose donc sur un paradoxe. Comme le dit X. LEON-DUFOUR, « le sens de la mort, c’est Dieu qui le donne en triomphant ». Le Christ a traversé la mort, et en le ressuscitant, Dieu lui a donné la victoire. Dans cette théologie, la Croix est glorieuse en raison de la Résurrection. Nous ne pouvons réduire à cette seule perspective l’interprétation chrétienne primitive de la mort du Christ. La première annonce de la foi comporte dans sa formulation des assertions qui manifestent que les chrétiens ont aussi inscrit l’événement du Vendredi Saint dans l’ensemble du dessein de Dieu. La passion du Christ n’est pas un non-sens, car elle a eu lieu « conformément aux Ecritures ».
C’est la raison pour laquelle les grands discours des Actes font de larges citations de l’Ancien Testament. X. LEON-DUFOUR note : « Luc a systématisé cette manière de comprendre, en particulier dans les Actes des Apôtres ; mais il le faisait en s’appuyant sur une tradition plus ancienne dont subsistent des traces évidentes. » Pour confirmer le caractère ancien de cette affirmation, nous pouvons lire le témoignage de Saint Paul qui dans la Première Epître aux Corinthiens rappelle « ce qu’il a lui-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures … » Saint Paul affirme ici que l’interprétation de la mort du Christ comme accomplissement des Ecritures est une donnée de la Tradition qu’il transmet à son tour.
(à suivre…)