Lève les yeux

Comment voir la gloire de la croix? De Jérusalem à Jéricho, levons les yeux.

Méditation de sr Mireille (à partir de la 55ième min): à écouter

 ou Méditation à  lire

D’aucuns se demanderont sans doute pourquoi la parabole du bon samaritain a été proclamé en ces vigiles de la fête de la Croix Glorieuse ?   Mais, permettez-moi ce soir, en ce jour de mon jubilé, de vous entrainer dans quelques détours scripturaires, pour percevoir un rayon de la gloire de la croix dans le quotidien de nos vies. Vous le savez peut-être, mais en hébreux la gloire, c’est aussi le poids. Qu’est-ce qui donne du poids à notre vie? Qu’est-ce qui lui donne du sens?  Mais avant de partir dans notre voyage biblique,  prenons un temps de silence pour nous demander quel passage des saintes écritures aurai-je choisi,   pour entrer dans ce grand mystère de la croix glorieuse ? Et gardons le comme un trésor.

A Jérusalem

Un mystérieux transpercé

Il y a 25 ans, je choisissais d’inscrire sur le faire part de mes engagements ce verset des écritures:

« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » Za 12,10.

Les chapitres 10-14 du prophète ravissaient mon cœur. En effet, dans ces chapitres, au moment où tout semble perdu, le sacrifice de ce mystérieux transpercé provoque un rétablissement : le peuple est délivré des ennemis extérieurs, il reçoit un esprit nouveau L’Alliance avec Dieu est  renouvelée.  Une source jaillit purifiant et guérissant du péché.

D’une source à l’autre

Nous aurions pu continuer à méditer sur beaucoup de textes comme par exemple  la source du temple nouveau chez Ezéchiel, mais la nuit serait trop courte. Donc simplement  de Za 12,10 nous allons surfer  jusqu’au chapitre 19 de l’évangile de Jean. L’évangéliste cite explicitement ce verset pour commenter ce dont il est témoin:

« Un soldat d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau »

Ce transpercement côté du christ est une véritable source d’eaux vives à laquelle nous pouvons puiser.  Pour l’évangéliste st Jean, c’est le signe du don de l’Esprit. La tradition y verra par la suite la symbolique sacramentelle avec l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie, mais aussi  la naissance de l’église, nouvelle Eve, qui nait du côté transpercé du Christ nouvel Adam.  Pour Jean, le Christ est glorifié sur la croix : l’homme y trouve la source de vie.

Ainsi, le Christ, sur la croix n’était-il pas le transpercé du prophète Za, le temple nouveau d’Ezéchiel ? La vie n’était-elle pas plus forte que la mort ? La croix n’était-elle pas glorieuse ? Je levais les yeux vers celui que nous avions transpercé. Je pouvais recevoir de lui la guérison, la sainteté. Je voyais la gloire de Dieu.

Une source où puiser

Et pour moi qui prononçais mes vœux tous ces textes donnaient sens. La consécration religieuse n’est-elle pas simplement là pour rappeler que le Christ nous appelle à vivre en baptisé pour une vie bonne ? à vivre dans l’Esprit pour une vie en abondance ? à vivre en frères et sœurs pour une vie heureuse ? Que le Christ nous appelle à la sainteté, à prendre notre croix et à marcher à sa suite pour que nous devenions les pierres vivantes de l’Eglise ? Bref, à ce moment- là tout avait sens, tout avait poids, tout était gloire ! Était-ce là un avant-goût de la Jérusalem céleste ?  Toutefois,  n’ y avait-il là le côté léger de la méditation ? Si la méditation élève l’Esprit, elle doit avant tout s’inscrire dans la chair du cœur ! L’arbre pour porter du fruit doit être planter en terre ainsi  la croix pour devenir glorieuse doit être planté dans la terre de nos vies.

A Jéricho

Lève les yeux et vois

Alors, par un je ne sais quoi que Dieu seul sait, la méditation des écritures m’invita à quitter Jérusalem pour descendre vers Jéricho. Et sur le chemin, le Seigneur me fit entendre une première fois:  « Lève les yeux et vois cet homme laissé à moitié mort sur le bord du chemin ». Mais j’eus peur et préférai passer à bonne distance. Ce n’était pas par souci de pureté comme le prêtre ou le lévite de la parabole, mais par peur… une deuxième fois « Lève les yeux et vois cet homme laissé à moitié mort sur le bord du chemin ». Mais je fermais les yeux, je ne voulais pas voir. Une troisième fois :  « Lève les yeux et vois cet homme laissé à moitié mort au bord du chemin ». J’aurai aimé ne pas entendre, pouvoir m’enfuir, ne pas savoir. Mais sur sa parole, Je levais les yeux et j’étais près de la croix. Je suis restée longtemps à lire et relire la parabole du bon Samaritain à la lumière de la croix. Et j’y reviens encore  quand l’Esprit m’y entraine…

Prêtre, lévite, brigand, homme blessé

J’étais ainsi tour à tour prêtre ou lévite, brigand, homme blessé.

J’étais l’homme qui refuse de voir, qui refuse de faire un détour, qui refuse de prendre le temps pour l’imprévu, qui a peur de voir le mal, la souffrance, la mort, qui est enfermé dans ses croyances sans entendre l’appel de la foi, bref l’homme qui ne lève pas les yeux, accroché qu’il est à ses certitudes, ces préjugés.

J’étais aussi brigand mais pas le bon larron, bref l’homme qui est capable de faire du mal, de faire souffrir, qui ne lève les yeux que sur ses intérêts propres qui ne sait pas voir le visage de l’autre.

J’étais enfin cet homme blessé gisant sur le chemin. Je levai les yeux et je vis un homme qui qu’approchait de moi. Et là Horreur qui est cet homme ? un inconnu ? un samaritain, un gabatch si vous préférez qui veut me secourir moi une catalane ? -Désolée mais si je suis à moitié morte, je suis donc aussi à moitié vivante, je gère ma situation pas de soucis, tout va bien. Jéricho c’est par là vous pouvez passer votre chemin.

J’étais donc l’homme blessé à moitié vivant sur le bord du chemin. Je levai les yeux. Terreur, le fils de l’Homme, le Seigneur des Seigneurs, c’était fait proche de moi. Je m’exclamais :Toi me laver les plaies à moi, jamais !. Mais son regard se posait sur moi alors je négociais : La gloire de Dieu n’est-elle pas l’homme vivant ? dixit ton serviteur Irénée de Lyon. Vois je suis à moitié vivant certes, mais la moitié de gloire, c’est comme la moitié de l’infini, c’est plutôt bien non ?

La parole de Dieu me prit en pitié et le psaume 121 vient à mon secours:

« Je lève les yeux vers les montagnes d’où le secours me viendra-t-il ? Le secours me vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre…Le Seigneur ton gardien, le Seigneur ton ombrage se tient près de toi » Ps 121

Je laissais donc la splendeur de Dieu se pencher sur ma misère, bander mes plaies avec l’huile de l’Esprit, avec le vin de son amour- Tendresse et douceur me hissèrent sur la monture de la croix, un drôle de brancard mais du haut de ce trône, je lève les yeux et vois le monde autrement.

Le bon samaritain, pourquoi pas toi?

Toutefois, Lorsqu’on se sait prêtre, lévite, brigand, ou homme blessé, comment s’imaginer bon samaritain? Je suis restée longtemps à l’auberge des écritures, guettant le retour du Samaritain pour me mettre à son école.  J’avais 38 ans, je relisais le chapitre 5 de l’évangile de st Jean avec comme guide de lecture un commentaire de st Augustin. Je lisais « il existe à Jérusalem une piscine qui s’appelle en hébreu Bethzatha. Elle possède 5 portiques sous lesquels gisaient de nombreux malades, aveugles, boiteux, impotents… on pourrait aussi écrire des  prêtres, lévites, brigands,un homme blessé mi mort-mi-vivant-une sœur qui cherche la gloire de la Croix… Il y avait là un homme infirme depuis 38 ans -et j’avais 38 ans- Jésus le vit- il lève les yeux-  et me dit « veux-tu guérir ? ». Comme l’infirme, j’essayais de justifier mon état et Jésus dit « Lève-toi, prends ton grabat et marche » Et Augustin de commenter ce dernier verset ainsi

 « En disant prends ton grabat, le Seigneur me semble avoir dit: Aime ton prochain (…) Il précise , « ce n’est pas n’importe quel bois que tu dois regarder comme le prochain mais le grabat. » Pourquoi ? « Parce ce que l’homme malade était porté par le grabat et qu’une fois guéri, il porte le grabat ». Autrement dit: « Quand tu étais malade, ton prochain te portait ; tu es guéri porte ton prochain. ‘’Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez la loi du Christ ’’Gal 6,2.

La gloire de la Croix resplendit dans la main tendue qui aide l’autre à se relever, dans la présence silencieuse d’un proche au chevet de celui qui souffre,  dans caresse d’une mère qui console son enfant, dans un pardon donné, un pardon reçu entre frères, dans un verre de bière partagé avec un ami avec qui on se souvient d’hier et on rêve ensemble demain, dans un office liturgique où ensemble nous levons les yeux vers celui que nous avons transpercé…dans tous ces gestes petits ou grands qui ont poids d’éternité.

Le commentaire d’Augustin continue « mais quand tu auras pris ton grabat, ne reste pas en place, marche. En aimant ton prochain, en prenant soin de ton prochain, tu fais du chemin. Où diriges-tu tes pas sinon vers le Seigneur ton Dieu, vers celui que nous devons aimer de tout notre cœur de toute notre âme, de tout notre esprit ? Nous ne sommes pas parvenus jusqu’au Seigneur, mais nous avons le prochain avec nous. Porte donc celui avec qui tu marches afin de parvenir jusqu’à celui avec qui tu désires demeurer. Donc ‘’prends ton grabat et marche’’. »

Lève les yeux et vois, le Seigneur t’appelle : Prends-ta croix, suis-moi, deviens un bon samaritain, deviens  une bonne sœur !