La Croix Glorieuse: un mystère à méditer

Regarder la Croix

Il y a bien des images de la croix qui peuvent soutenir notre contemplation, comme un pré-texte. Mais, en ce 14 septembre,  nous sommes invités à contempler la croix glorieuse, puisqu’on nous propose de croire qu’elle l’est. Essayons d’accueillir la lumière divine, puisque les ténèbres ne peuvent saisir le mystère (Jn 1,5).

Une question parmi d’autres

Est-ce que les mystères concernent le passé, ou bien le présent, ou même le futur ?

Si les événements de la vie du Christ concernent seulement le passé et uniquement le Christ et ses amis à son époque, nous n’avons rien à faire ici aujourd’hui.  L’événement de la croix survenu il y a 2000 ans, concernait aussi le futur, dont notre instant présent n’est qu’un point parmi tant d’autres, point fuyant et inarrêtable, que l’on ne peut saisir, pas plus qu’on ne peut saisir Dieu ou le mystère de la croix glorieuse (CG) que nous contemplons.

Un mystère

Et puisque le mot « mystère » a été prononcé, redisons-nous à nous-même ce qu’il signifie  : nous ne pouvons pas croire que la révélation de Dieu en Jésus Christ simplifie les choses, et que maintenant nous allons comprendre

« le Dieu qui envoie son Fils dans le monde, le Dieu qui manifeste son amour jusqu’à le conduire à la mort, se montre plus mystérieux et inconnaissable » (Jean-Paul II ; AG 1995)

C’est simple : avant on croyait que Dieu était unique et maintenant on entrevoie qu’il est unique en trois personnes!  Dieu étant plus proche, plus grande aussi est la possibilité d’éprouver sa grandeur inconnaissable. Parce que, en fait, le mystère c’est Dieu lui-même.

Ce n’est pas ce que nous ne savons pas aujourd’hui et que demain nous saurons un peu mieux. Le mystère c’est Dieu, dont la lumière excède la capacité humaine de compréhension. Plus il y a de révélation, plus grand est le mystère, et moins on comprend, ou plutôt,  plus grande est la connaissance de l’infini, donc la connaissance de la non-connaissance. Par contre, si on ne comprend pas on goûte: le mystère est savoureux. C’est pourquoi on mange aussi dans une célébration

« Ils contemplèrent Dieu, ils mangèrent et ils burent ». (Ex 24,11)

Et si on connaît le mystère qui est non connaissable alors on entre dans la louange et l’adoration, c’est la liturgie. Et le mystère aujourd’hui est simple à exposer, et terrible, et incompréhensible. (Jn 3,16) « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique » … « pour que le monde soit sauvé par lui », et sauvé d’une manière terrible. Qui donc est Dieu pour nous aimer de cette manière ?

Le mystère de la Croix

Nous avons compris, peu à peu, que ce que Dieu est dans l’histoire, il l’est de toute éternité, et ce qu’il est dans l’éternité est devenu visible dans l’histoire. Alors voilà le mystère de la croix !  Qu’est-ce que Dieu peut bien être dans l’éternité qui soit rendu visible par la croix ? La réponse est trop connue : Dieu est amour ! C’est à dire don de soi, et ce n’est qu’en aimant et par le don de soi que l’on peut le comprendre. Celui qui n’aime pas reste dans les ténèbres , la lumière de la croix lui reste cachée. Très bien…mais…si vous avez compris c’est que je n’ai pas été clair… car

« c’est en cela que consiste en effet la vraie connaissance de Dieu… dans le fait de ne pas voir » (Gr de Nysse)

Cette lumière est obscure

La croix nous  montre  l’amour de Dieu et  l’amour évoque le bonheur. Est-ce vraiment la croix que vous prendriez  comme exemple pour parler du bonheur ? Vraiment ?

Allons juste un peu plus loin dans le mystère de la Croix Glorieuse, lumière obscure : Sur la croix le Christ a vraiment souffert, il n’a pas chantonné gaiement le Ps 22, il « est devenu malédiction pour nous » (Ga 3,13), il s’est « anéanti » (Ph 2,7), par sa mort il est en « solidarité réelle avec les habitants du shéol que n’éclaire aucune lumière rédemptrice » (Balthasar ; mysterium salutis 12 p 165) , et ce pour notre salut.

Qu’est-ce que cela veut dire ?! Et alors ce qui est visible dans l’histoire, ça correspond à quoi dans l’éternité ? Quel mystère ! Y aurait-il quelque chose comme un anéantissement en Dieu lui-même ?

Pardonnez ces paroles mystérieuses… au moins nous ne serons pas de ceux qui disent ” peu importe ce qu’est Dieu ou ce que nous disons de lui, ce qui compte c’est ce que nous faisons”,  puisque nous arrivons maintenant à un aspect plus « pratique ».

L’évènement de la Croix concerne le futur

Le centre du temps, ce n’est pas aujourd’hui, notre époque actuelle, c’est l’événement Christ.

De même  le centre de l’univers n’est pas notre planète, (On sait d’ailleurs aujourd’hui que l’univers n’a pas de « centre », et justement… ) Idée qu’il a été pénible d’abandonner, mais là aussi… c’est le Christ le centre, dans sa dimension cosmique, que l’on contemple à la fin de l’année liturgique  “Christ roi de l’univers”.  Et cette dimension nous concerne aussi, puisque nous faisons partie du corps du Christ.  Or, on peut aller jusqu’à dire que le corps du Christ, d’une certaine manière, c’est l’univers.

« En lui tout est créé, au ciel et sur la terre, tout est créé par lui et pour lui » (Col 1,16)

Pas au même titre cependant que l’homme, cet homme formé d’éléments de l’univers

« ô homme, ne méprise pas ce qu’il y a d’admirable en toi [,…] considère ta dignité royale… Le ciel n’a pas été fait image de Dieu comme toi, ni la lune ni le soleil, ni rien de ce qui se voit dans la création, vois que de tout ce qui existe, rien n’est capable de contenir ta grandeur ».Grégoire de Nysse

Quelle grandeur de l’homme ! … Mais homme défiguré, et le Christ rend visible la défiguration de l’homme, comme il rend visible l’amour de Dieu pour l’homme. L’humain donc souffre, tout humain d’une certaine manière subit la croix. Que le Christ rende visible la défiguration de l’homme sur la croix, et que les chrétiens en gardent la mémoire en vénérant la croix n’a rien d’évident : ce n’est pas gratifiant pour nous ! Oui le christianisme tient compte de la souffrance (certainement trop à certaines époques) à la différence de la mythologie, qui ne la prend pas en considération en nous présentant des héros qui ne souffrent pas… les nôtres souffrent ! C’est le réel de la vie, et quand nous ne voulons pas nous en souvenir, nous sommes nous-même dans la mythologie ou réduits à une idéologie. Puisque notre regard est coloré maintenant d’une note universelle, nous n’allons pas le restreindre, mais plutôt nous rappeler avec le dernier concile (GS 22§5) que « l’Esprit-Saint offre à tous », « et pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce », « la possibilité d’être associé au mystère pascal », la possibilité de l’universalité du salut.

Croix et Gloire

Tout homme subit la croix.   De même que le bonheur est l’aspiration commune de tous les hommes, la souffrance en est l’expiration commune, à divers degrés, c’est un héritage aussi. Mais, nous avons un autre héritage:

  « Héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui »(Rm 8,19)

Et une bonne nouvelle  liée à cette fête

« les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler en nous »… (Rm 8, 18)

C’est le Christ qui est l’axe de ce processus. « Axis mundi » disons-nous, idée commune à bien des peuples, chacun pensant que son Temple est l’axe du monde. Pour nous, c’est la croix qui est l’axe du monde, mais alors dans ce cas, elle est « glorieuse! ». Le salut concerne tout l’univers, toute la création, qui « gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rm 8,22).  Il y a donc une naissance qui se prépare !

L’axe du monde c’est le Temple, mais le Temple « non fait de main d’homme » c’est le Christ.  L’Homme, dans un sens surtout collectif, est Temple de Dieu. Nous sommes donc le futur du Christ historique, (« incarnation continuée »),  et l’histoire est loin d’être terminée!

Faire mémoire ou la  source d’Espérance

Les chrétiens ont parfois du mal à se projeter très loin dans le futur. Pourtant, il suffit de considérer qu’il y a 10000 ans il y avait des hommes. Il y a 100000 ans, il y avait des hominidés. Et nous sommes là aujourd’hui! Alors, pourquoi ne serions-nous pas là dans 10000 et 100000 ans?  On a du mal à apprécier le temps long à cause, disons, d’un excès d’eschatologie. Cet excès peut décrédibiliser le christianisme. En effet, dire  que le Christ va revenir très bientôt, est la source de bien des maux:  la paresse et le désengagement par exemple. Ne s’occuper que du ciel et négliger la terre engendre bien des contre témoignages et a des conséquences politiques funestes.

Pour le dire autrement : le chrétien souvent ne se sent pas concerné par le sort de l’humanité parce qu’il espère un avenir meilleur « au ciel ». N’est-ce pas une pensée égoïste ? Bien sûr, il y a des causes à ce défaut d’espérance « terrestre ». Comme on perd la mémoire, comme on n’a pas une culture de la mémoire nous ne voyons pas la blessure de notre cœur, infligée par les drames personnels et collectifs.  On ne croit pas qu’un travail historique, un travail de relecture pourrait nous guérir. On ne sait pas que le passé nous impacte. Nous ne savons même pas, relier les faits actuels au passé. Par exemple:  l’existence de l’Etat d’Israël. On ne voit … que ce que l’on voit aujourd’hui ! Heureux ceux qui font mémoire de ce qu’ils n’ont pas vu ! Heureux ceux qui croient sans voir ! (cf. Jn20,29)

A ceux qui donc manquent d’espérance pour « ici-bas »,  considérez la vie de vos parents et le XX°.  Les deux guerres mondiales ont fait plus de 80M de morts, là où les 27 guerres européennes du XVI° en ont fait 1M… Au XX°, 16 conflits ont fait plus d’un million de morts, et en tout, entre 167 et 168 M de morts au XX° du fait de la violence organisée,  ce qui fait 1 humain/22. (cf. David et David ; politique étrangère 2013/3).  Cela  joue sur le fait d’espérer en ce monde!  Et peut nous conduire à nous contenter d’attendre le ciel.  Cela nous affecte même si,, et peut-être surtout, si nous n’y pensons pas.  La théologie de l’espérance est née en tant que telle après 1945. Ne pas se rappeler tout cela, nous déshumanise, nous ne voulons pas supporter l’angoisse de ces souvenirs, ou celle de l’actualité aussi en étant réellement informé, nous préférons la « léthargie », puisqu’en grec lèthè, c’est le fleuve de l’oubli.

Au contraire, et cela nous engage, le concile nous dit ceci

« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ ».(GS 1)

Cela veut dire que si les chrétiens ne sont pas concernés par le cri des hommes, soit parce qu’ils ne l’entendent pas, soit parce qu’ils le répriment en eux, il y a un problème.  Ce problème, c’est en partie de situer l’espérance pour après la mort seulement, et pas pour cette terre.

Il y a aussi ceux qui ne voient que la terre et cherchent le bonheur à n’importe quel prix, même chez les chrétiens, et peu importe après on verra bien… Mais nous examinons le fait que certains espèrent tout pour après la mort et plus rien pour avant, plus aucun bonheur, tout pour après la parousie et plus rien pour avant, est-ce vraiment cela le message évangélique ? Ou encore, on pense seulement en terme de salut de l’âme et non salut du corps dans le sens d’amélioration des conditions de vie, ce qui donne qu’on ne se soucie pas du progrès terrestre. L’innovation devient dès lors suspecte, « blâmable ». Ou encore on pense salut par rapport au péché, et non au salut de toutes sortes de situations que l’on ne peut pas faire remonter absolument au péché, comme la maladie par exemple. Toutes ces tendances conduisent à réserver l’espérance pour le ciel, et non aussi pour la terre. Or, la vie éternelle y est déjà commencée.

Sur la terre comme au ciel

On découvre, qu’il y a comme un principe sacrificiel au cœur même de l’économie politique et pas seulement au niveau de l’économie du salut.

On ne peut pas opposer simplement deux types d’organisation : celle de l’économie et celle du sacrifice,  celle de l’égoïsme contre l’altruisme. Ou pour reprendre Benjamin Constant    « l’intérêt pour guide et le bien-être pour but » et  de l’autre « le perfectionnement pour but et pour guide le sentiment intime, l’abnégation de nous-mêmes et la faculté du sacrifice ».

En réalité,  la survie du « monde de l’intérêt » passe par le sacrifice « pour une nouvelle renaissance », économique terrestre, comme le sacrifice du Christ nous ouvre le ciel. C’est l’homme qui est sur la croix, et c’est le Christ qui est sur la croix. On ne peut pas simplement séparer le ciel et la terre, la nature et la grâce, l’altruisme et l’égoïsme, l’économie du salut et l’économie politique, l’espérance de la vie éternelle et l’espoir d’une vie meilleure ici et maintenant.

Que ta volonté soit faite

On peut comprendre de travers la parabole du pauvre Lazare : “Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur ; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance. ” (Lc 16,25) On peut tordre ces paroles : “laissez les pauvres sur terre être pauvre, et les riches être riche, et on règlera ça au dernier jour !”  Souvent cette pensée immobiliste domine, mais le prophète nous dit au contraire

« Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, mettre en pièces tous les jougs !… Partager ton pain avec l’affamé ?… Alors ta lumière poindra comme l’aurore, et ton rétablissement s’opérera très vite »… (Is58,6s)

Et on a ici justement à la fois l’intérêt et le sacrifice !

Ici et maintenant

Puisse la contemplation de la Croix Glorieuse,  nous inspirer quelque action ici et maintenant!  C’est ce que nous souhaitons nous communauté de la Croix Glorieuse :

« Poussés par le souffle puissant de l’Esprit, nous désirons, avec Marie, porter aux hommes de ce temps l’immense espérance de la vie plus forte que la mort ».

Merci à ceux qui portent cela aussi en eux ou quelque chose comme cela, et avec qui nous travaillons. Cette espérance nous la recevons :

« avec Marie, au pied de la croix, notre communauté est appelée à contempler le Christ, Agneau offert Agneau vainqueur, à célébrer le mystère de la Croix glorieuse…elle en reçoit compassion, joie et espérance ».

fr. Nathanaël