Il est heureux que nous soyons ici pour célébrer ce beau mystère de la Croix Glorieuse.Nous avons la chance cette année de le fêter pendant le grand jubilé de l’Espérance. Sr Jehanne Emmanuelle et moi-même avons la chance de fêter, en ces jours, notre jubilé : 25 ans de vie religieuse. C’est une joie de mettre notre petit jubilé dans le grand jubilé de l’Espérance, je dis petit jubilé car notre sr Anne Marie vient de fêter ses 70 ans de vie religieuse !
Voici quelques mots sur la Croix Glorieuse et comment j’ai vécu ce mystère pendant 25 ans de vie communautaire.
Au commencement
Quand je suis entrée dans la communauté, j’ai eu pendant tout un temps, quelques difficultés avec son nom : Croix Glorieuse !
Croix, ça allait à peu près, mais glorieuse ! Croix Glorieuse !
Je me disais « c’est quoi cette expression désuète et fanfaronne, genre « sortez les drapeaux, regardez nous comme on est les meilleurs ».
Moi, quand j’entendais l’expression « Croix Glorieuse », ce qui me venait c’était les images d’un peplum style catho doloriste et triomphaliste,un mixte de Mel Gibson et de Ben Hur en quelque sorte.
Bref, l’expression me gênait.Ce qui fait que lorsqu’on me demandait « vous êtes dans quelle communauté ? » Je disais péniblement : « la communauté de la croix glorieuse » …et j’ajoutais aussitôt mais c’est juste parce qu’on a été fondé le 14 septembre, fête de la croix glorieuse, si on avait été fondé le 14 juillet, on aurait porté un autre nom.
Et oui, je m’en confesse , tout au début j’ai eu du mal
25 ans après
Après 25 ans de vie religieuse, je n’ai plus le même rapport au nom de ma communauté.
J’ai pu en goûter la largeur, la profondeur et je suis convaincue que c’est l’expression la plus ajustée pour parler du mystère Pascal.
Pour autant, l’expression reste difficile à expliquer parce que quand vous dites « Croix Glorieuse », les gens entendent un oxymore. (Figure littéraire qui associe 2 mots opposés ou de sens contraire. « Croix-Gloire »).
De plus, l’association « croix-gloire » a pris un sens particulier dans l’histoire.
Petit détour historique
L’image de la croix comme symbole chrétien n’est apparu que tardivement, La croix pour les 1ers chrétiens, c’était l’horreur, c’était associé aux terribles souffrances et à la mort des chrétiens crucifiés. Donc, au début, on ne l’utilisait pas comme symbole chrétien. On utilisait l’agneau, le poisson, la colombe. Or, il se trouve qu’en l’année 312, l’empereur Constantin s’est converti au christianisme.
Ce qui a motivé sa conversion, c’est un songe qu’il a eu alors qu’il devait livrer une bataille décisive aux portes de Rome : il a vu le signe de la croix et il a entendu ces paroles:
« Sous ce signe tu vaincras »
A cause de ce songe, Constantin a pris la croix comme un nouvel étendard.
Il l’a fait porter en tête de son armée à la manière d’un labarum. Le labarum, c’était ce mât avec une barre transversale et un linge pourpre (signe de l’empereur) que portait l’armée romaine. Donc Constantin a fait pareil avec la croix, il l’a fait marcher devant, un peu comme un talisman.
Et il a gagné la bataille ! Ainsi, la croix est devenue pour lui le signe du pouvoir, de la puissance, et de la gloire. Comme si la croix lui avait donné du pouvoir, lui avait donné la gloire!
De la gloire à l’humilité
A propos de gloire, il faut reconnaitre qu’en Église ou ailleurs, quand on a du succès, on a quand même la tentation, d’une certaine fierté, d’une certaine gloire.
Dans les débuts de la communauté, nous avons eu, nous aussi, nos heures de gloire. Nous étions jeunes, beaux, enthousiastes, plein de vie et nous étions convaincus que nous allions restaurer, reconquérir la vieille mère Église, dépassée. Nous savions, mieux que les autres, ce qu’il fallait faire et comment il fallait le faire et on le faisait à fond, on était efficace … pour la gloire de Dieu.
Et c’est vrai qu’on a su innover, anticiper, dynamiser …et puis quand la tempête est venue, on s’est fait déborder, par notre succès. Peut-être qu’on comptait trop sur nos propres forces, qu’on n’était pas assez enracinés ou pas assez ouverts (Cap Horn spirituel!)
Quand la tempête a soufflé, nous n’étions pas si glorieux que ça. Notre barque a bien failli chavirer. Bienheureuse tempête ! Expérience purifiante qui a permis de sortir d’une forme de gloire trop triomphale, peu ajustée. Cela nous a permis de mieux ressembler au Christ, de vivre une forme de Kénose
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus :Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes.Ph 2,5-7
Cette expérience d’abaissement, nous a permis de rejoindre plus profondément le Christ en son mystère de la croix glorieuse. Maintenant nous sommes toujours, jeunes, beaux et enthousiastes mais on a plus de sagesse … et de cheveux blancs…et d’arthrose. Les années passant, on voit bien que cet immense mystère de la Croix Glorieuse nous a pétri, et ça donne plus d’humilité, de vérité. Et ça donne l’extraordinaire communauté que nous sommes !!!!
Quand nous regardons Jésus sur la croix
Quand nous contemplons celui que nous avons transpercé, nous voyons un Dieu pauvre, humilié. Ce n’est pas un Dieu qui trompette. C’est celui qui a donné sa vie par amour pour nous ! C’ est cela la gloire : parce qu’il nous aime, il donne sa vie pour nous. Il a vaincu la mort par amour pour nous, c’est cela la gloire : parce qu’il nous aime, il a vaincu la mort. … Il est comme ça notre Dieu : On lui fait du mal…il fait du Bien. C’est fort quand même !
Au caté au moment de Pâques une enfant a expliqué :
« Sur la croix Jésus, il est comme une éponge, il aspire tous nos péchés, comme ça nous on en est libéré. On respire on peut vivre. »
C’est une très belle image pour parler de ce Dieu Sauveur qui donne la vie.
Quand nous regardons Celui que nous avons transpercé …
Mais, finalement, qu’est-ce que c’est que le cœur transpercé de Jésus sur la croix ? Si je fais ma petite mère de l’Église, le cœur transpercé me renvoie au rocher que Moïse frappe. Et l’eau jaillit! Ce qui permet que les hébreux ne meurent pas de soif. Dieu, c’est notre rocher, quand on le frappe, il donne la vie.
Le cœur transpercé, c’est le creux, la fente du rocher (cf.Cantique des cantiques), c’est le lieu où le Bien Aimé rejoint sa bien-aimée, le lieu de l’union intime, lieu de la fécondité et de l’enfantement.
Le mystère de la Croix Glorieuse, c’est un mystère d’enfantement. Nous sommes créés pour donner la vie, pour accompagner, pour faire grandir .
Parenthèse « féminine »
A propos d’enfantement, je voudrais saluer, le rôle des femmes dans la communauté, et la place, toute particulière, des sœurs consacrées dans ce ministère de la fécondité communautaire. Il me semble que les sœurs consacrées exercent, ou ont a exercer une forme de maternité spirituelle particulière, quel que soit leur engagement
Pourquoi ? Non pas parce qu’elles seraient meilleures que les autres, mais parce que nous, les soeurs avons une prédisposition « naturelle » …ou « surnaturelle » à suivre Marie.
Marie qui en Jean 19, au pied de la Croix, reçoit cette mission, cette identité de « Mère de tous »
Sœur consacrée de la Croix Glorieuse, C’est une place spécifique, précieuse, que nous avons encore à travailler, à approfondir. Avis à tous : « veillez sur vos sœurs consacrées ! »
Espérer
Pour finir, une citation tirée de notre vision communautaire qui me touche beaucoup :
« Avec Marie : nous désirons porter aux hommes de ce temps l’immense espérance de la vie plus forte que la mort »
En ces temps difficiles où l’on dirait que la raison n’a plus de raison et que notre seul horizon est la guerre, les désastres écologiques, les incohérences économiques, j’ai l’intuition très forte que notre petite communauté par son charisme, est appelée à rester chevillée à l’Espérance et à la dire.
Quoiqu’il arrive, il est de notre devoir, de notre responsabilité, de dire à contre temps que « OUI ! La vie est plus forte que la mort »
En mémoire de sr. Espérance
Nous avons voulu que le titre de l’affiche des fêtes que nous célébrons soit : « Croix Glorieuse source de l’Espérance », pas seulement à cause de l’année jubilaire mais aussi pour faire mémoire de notre sœur Espérance. Sœur Espérance, qui aurait dû être là ce soir, puisqu’elle fait partie de notre promotion sœur Jehanne-Emmanuelle ainsi que Sœur Maïtane – aujourd’hui sœur de Bethléem et sœur Élisabeth aujourd’hui sœur franciscaine)

Sœur Espérance : Voici une sœur qui a vraiment vécu le mystère de la Croix Glorieuse. Elle a porté, lourdement, sa croix (elle nous l’a fait porter aussi), et elle a eu beaucoup de fécondité particulièrement auprès des jeunes.
Elle nous a fait des coups pas possibles, le dernier ça a été de mourir, il y a 2 ans, lors d’un examen médical à l’hôpital, le Vendredi saint. Nous ne pouvons pas douter qu’Espérance goûte maintenant à sa juste mesure ce grand mystère de la Croix Glorieuse et que là-haut elle nous aide à engendrer, anticiper le Royaume….
Sœur Sabine