Terre écologie

Si tu viens à perdre la terre, à quoi sert de sauver ton âme…

Nous vous proposons de pouvoir ré-écouter et(ou) lire l’homélie de notre frère Nathanaël faite à l’occasion du vendredi saint 2020. Une réflexion sur le Covid-19 et un plaidoyer pour l’écologie intégrale à la suite du Pape François.

 

Texte

Si tu viens à perdre la terre, à quoi sert de sauver ton âme … !? En ce vendredi saint je voudrai méditer et donner quelques éléments de réflexion sur l’épreuve que nous vivons en ce moment, qui fait que vous n’êtes pas là, et pourtant je vous vois très bien, à votre place… mais épreuve qui est un vendredi saint pour 95000 personnes sur la terre, et bien plus … selon le degré d’affectation… je ne veux pas donner d’explication, mais seulement essayer de trouver du sens à travers ces éléments de réflexion. Si je me livre à cet exercice difficile -qui ne déplait pas- ce n’est peut-être pas seulement par choix personnel, il se pourrait que le prédicateur en ce jour y soit implicitement convié par la liturgie, en effet la grande intercession très solennelle et quasi immuable du vendredi saint se trouve augmentée cette année d’une 11° intention « spéciale covid », c’est tout à fait exceptionnel.

Vous vous souvenez que pour celui qui est tellement accroché à la vie qu’il ne voit plus les autres au point d’accumuler pour lui-même dans son grenier il a été dit : « à quoi sert de gagner la terre entière si tu dois perdre ton âme »… alors, et en raison de bien d’autres versets, en régime chrétien on a essayé, sans s’occuper de la terre entière, de sauver son âme à tout prix, c’était devenu une obsession, sur fond de peur de l’enfer et de culpabilité d’avoir trahi et crucifié le Fils de Dieu, et encore heureux quand on n’en accusait pas les autres…

…je précise que je considère ce vendredi saint dans la globalité du mystère pascal, c’est à dire croix-résurrection-venue de l’Esprit et son action transformante, pour ne pas en rajouter non plus sur l’aspect dramatique du vendredi saint, (l’anéantissement du Fils) il y a assez de drames en ce moment… et je vais essayer de relier le vendredi saint non seulement à la pandémie mais aussi à la crise humanitaire (et écologique, et il se pourrait qu’il y ait un lien entre les deux !!) crise(s) qui est déjà en cours du fait de la situation hautement dégradée -par notre faute- de cette « terre entière », que nous perdons en même temps que nous sauvons notre âme, pensons-nous… cette planète dont nous sommes responsable pour une bonne part, planète sur laquelle nous vivons. Cette façon de s’exprimer (le mot planète) voudrait attirer l’attention sur l’immensité de l’univers, nous ne perdons pas notre temps quand nous y ouvrons notre cœur, mais certains ne sont pas réellement sortis du « monde clos » qui court jusqu’au XVI° et n’ont pas conscience de « l’univers infini », pour paraphraser A. Koyré. Certains (chrétiens) ne semblent pas avoir encore intégré que la terre n’est pas le centre de l’univers. De cette erreur séculaire est venue cette idée tenace que l’homme est le centre de l’univers, on a mal compris Gn1,28 : « emplissez la terre et soumettez-la »… il y a d’autres choses à ne pas oublier c’est que la terre nous est donnée non pas comme une propriété mais en gestion. « Les chrétiens […] savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi » (JP II, journée de la paix)

Nous avons à gérer la création et non pas à la détruire pour notre satisfaction : « Par une exploitation inconsidérée de la nature [l’être humain] risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation » (1971, Paul VI) Donc nous pouvons méditer sur le lien qu’il peut y avoir entre la passion du Christ comprise comme rédemption non seulement de l’homme mais aussi de l’univers. C’est tout l’univers qui est transformé par la passion du Christ, et l’homme sur une planète fait partie de cet univers, il est sauvé avec l’univers, et non pas : l’homme est sauvé et la nature on s’en fiche. Peut-être vous trouvez que j’exagère, c’est vrai que ce n’est pas un petit changement de perspective et cet aspect de la tradition est mal connu, (mais ce qui m’a encouragé dans ce sens est cette parole de François : « …la pandémie est une réponse de la nature » !) si j’exagère, que veulent dire ces paroles : « Cette sœur [la Terre] crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui « gémit en travail d’enfantement » (Bm 8, 22). Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2, 7). Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure » (LS).

A partir de là des changements énormes sont en vue dans la mentalité chrétienne, parce que vous l’avez entendu tout se passe comme si nous faisions partie de la nature, pas un scoop… ce qui est un scoop c’est d’en prendre conscience, nous faisons vraiment partie de la nature. Les religions primitives avaient cette conscience, mais nous avons tout jeté de ces religions : ce qui était violent et ce qui était bon… beaucoup de gens disent que l’on est allé trop loin et que la terre se venge… certains me l’ont dit au téléphone, si cela semble d’une certaine évidence à certains, l’histoire et la science nous ont appris que ce qui est évident n’est pas toujours vrai, ce qui nous invite à la prudence. Avant on disait aussi que c’était Dieu qui envoyait les calamités, si on ne peut pas tenir cette position : la Bible dit avec le déluge que cela n’arrivera plus, c’est à dire que Dieu ne punit pas l’homme à cause de son péché avec les calamités naturelles, c’est une pensée préscientifique… si donc on ne peut tenir cette position, François donne une alternative… c’est quoi qui se rebêle à l’homme, c’est quoi qui lui résiste, qui ne veut pas être détruit par lui ? y aurait-il une terre qui serait en quelque sorte une réalité vivante ?… On ne dit pas non plus « consciente ». En fait le pape nous invite rien moins qu’à repenser le concept de nature… mais ensuite : quelle est la place de Dieu dans tout cela et … qui est-il finalement ? En tout cas pas quelqu’un qui tire les ficelles du haut du ciel mais quelqu’un qui nous considère comme ses collaborateurs dans la création. Ce que François a dit c’est ceci : « je ne dirai pas que la pandémie est une vengeance de la nature mais en tout cas c’est une réponse de la nature » !!! Voilà qui chagrine les esprits rationnels, parce que cela n’est pas démontrable. Cela pose d’immenses questions et, et nous provoque à changer non seulement notre façon de penser (notre philosophie) mais aussi notre théologie ou du moins pour cette dernière de partir dans des directions que nous avons délaissées par le passé. C’est en tout cas ce à quoi s’attèlent déjà des facultés de théologie, comme celle de Paris, avec le colloque « la théologie de la création face à Gaïa », oui vous ne rêvez pas…

Tout se passe comme si la Terre-et non pas Dieu- secrétait le remède au mal que nous lui infligeons, ce remède pour la planète étant un mal pour nous mais c’est un mal qui vient de nous. Et le message est simple, évangélique : allez-vous vous arrêter de courir partout, de vous agiter dans tous les sens, est-ce que vous allez faire de nouveau attention à l’autre, et à vous-même, allez-vous ralentir un peu ? Allez-vous vous laisser transformer intérieurement parce que c’est cela qu’opère la Passion du Christ ? Paul VI parlait de « l’urgence et [de] la nécessité d’un changement presque radical dans le comportement de l’humanité », mais tant que l’on n’est pas au pied du mur, on ne se convertit pas ! Alors si tu viens à perdre la terre à quoi sert de sauver ton âme ? Eh bien le problème c’est que en ne considérant que l’âme on oublie ce corps qui fait partie de la nature, de la terre… et la maladie, peut-être, arrive ! Si tu sauves ton âme à tout prix, sans te préoccuper de la terre c’est à dire aussi de ton corps tu passes à côté du salut intégral… ce n’est pas un vrai salut, parce que le salut englobe tout l’univers, le Christ a une dimension cosmique, l’homme faisant partie du cosmos.
Pour conclure, que fait Dieu… ? Et s’il souffrait en son Fils, et avec nous, de cette situation ? Merci à M. Jacquet qui m’a envoyé la lettre des amitiés juives-chrétiennes de Perpignan, où on peut lire ceci : « Le Saint, béni soit-il, dit à Moïse : ne sens-tu pas que j’habite dans l’angoisse comme Israël habite dans l’angoisse ? Sache d’après l’endroit d’où je te parle, du milieu des épines, que MOI, J’ai part à leur angoisse, si l’on peut dire ainsi d’Adonaï » (Shemot Rabba, II,3)